BYE, TÉLÉTRAVAIL, BIENVENUE, MODE HYBRIDE

On avait fini par s’adapter au télétravail généralisé, mais voilà que le déconfinement amène un nouveau défi : le mode hybride, où une bonne part des employés partageront leur temps entre le bureau et la maison, et pas tous en même temps.

Avant la pandémie, environ 30 à 40 % des travailleurs nord-américains avaient accès à un programme de télétravail, estime le professeur Eric Brunelle, de HEC Montréal, qui étudie le sujet depuis une vingtaine d’années. « Si ça n’augmentait pas plus vite, c’était beaucoup à cause de la résistance des gestionnaires. »

La pandémie a montré que leurs inquiétudes par rapport à la productivité n’étaient pas fondées… ce que les chercheurs savaient déjà. « Des recherches ont même avancé qu’il y a jusqu’à 22 % d’augmentation de la productivité », signale M. Brunelle, qui se spécialise en leadership.

Une bonne partie des salariés qui ont goûté au télétravail veulent continuer à en faire, signalent de multiples enquêtes. Un sur trois chercherait même un nouvel emploi s’il devait être au bureau à temps plein, suggère un sondage réalisé en mars dernier pour la firme de recrutement Robert Half auprès de plus de 500 cols blancs canadiens.

Quand une région passe du palier orange au jaune, le télétravail n’y est plus obligatoire. Dans la Mauricie, le Centre-du-Québec, le Saguenay–Lac-Saint-Jean et l’est du Bas-Saint-Laurent, ce sera fait dès lundi. La plupart des autres régions les rejoindront une semaine plus tard. Celles dont le passage à l’orange a été retardé, comme Montréal et Laval, pourraient cependant devoir attendre une semaine de plus.

Une entreprise en zone jaune ayant l’espace nécessaire à la distanciation pourrait donc, en principe, rappeler ses troupes. Le télétravail demeure toutefois recommandé par la Santé publique, et ce, jusqu’au palier vert inclusivement. L’idée est de limiter les contacts tant qu’une couverture vaccinale à deux doses suffisante ne sera pas atteinte.

Et en contexte de pénurie de main-d’œuvre, exiger la présence à temps plein au bureau n’est pas sans risque, prévient Manon Poirier, directrice générale de l’Ordre des conseillers en ressources humaines et en relations industrielles agréés (CRHA).

En matière d’attractivité et de rétention, c’est important de pouvoir donner une certaine forme de flexibilité, parce que c’est manifestement le désir de la majorité. Manon Poirier, directrice générale de l’Ordre des conseillers en ressources humaines et en relations industrielles agréés

Déjà, avant la pandémie, la possibilité de travailler à distance figurait généralement parmi les trois principaux facteurs de rétention et d’attraction de talents dans les recherches, note M. Brunelle. Le gestionnaire qui imposerait un retour au bureau à temps plein « se priverait d’une occasion extraordinaire de profiter de tout ce qu’on connaît sur le télétravail », dit-il.

Ce nouveau mode hybride va toutefois demander aux employeurs de réfléchir à plusieurs questions.

Pourquoi aller au bureau ?
Le mode hybride oblige à repenser le travail, résume M. Brunelle. « Pourquoi on va au travail ? Pas pour s’asseoir dans un cubicule et ‘‘cruncher’’ des données », illustre-t-il.

« Si on ramène les gens pour des échanges, de l’innovation, de l’intelligence collective, pour créer des moments où on se dit les vraies affaires, pour célébrer, pour faire du team building, on va pouvoir recréer la dynamique qui fait l’ADN de notre entreprise », dit Manon Poirier. Bref, le « présentiel » devrait ramener ce qui manque à distance.

Combien de temps passer au bureau ?
Les recherches ont évoqué deux à trois jours par semaine en télétravail, mais la tendance est à l’aménagement en fonction des besoins des travailleurs, ce qui peut représenter de 20 à 40 % du temps d’un trimestre ou d’une année, dit M. Brunelle. « Ce sont des cycles : on développe un projet, on a besoin de plus de temps de concentration, on va être plus performant à la maison. Après, on a besoin de plus de brainstorming, d’échanger, de partager, peut-être qu’on est mieux au bureau. »

À l’Ordre des CRHA, on incite à réfléchir en activités à valeur ajoutée plutôt qu’en jours de présence requis. « Quelles sont les raisons pour lesquelles on ramène les gens au bureau ? Pour les rencontres d’équipe, les jalons importants d’un projet, pour célébrer, pour une nouvelle initiative, pour une rencontre de démarrage d’un projet, pour créer des séances de team building », illustre Mme Poirier.

Comment encadrer le boulot hors du bureau ?
Catapultées en télétravail par la pandémie, de nombreuses entreprises n’avaient pas de cadre formel pour cette pratique, et beaucoup n’en ont toujours pas. « On est souvent consultés là-dessus, mais beaucoup d’employeurs ne sont pas aussi conscients de ça », témoigne Me Sarto Veilleux, spécialisé en droit du travail et de l’emploi chez Langlois Avocats.

« Pas de balises, ça peut fonctionner un certain temps, mais inévitablement, il arrive des moments où on a un employé plus problématique, et on n’a pas de repères pour le ramener au bureau », prévient M. Brunelle.

Il est recommandé d’avoir une politique exposant les grandes lignes et la philosophie de l’employeur. Celui-ci pourra la faire signer aux salariés intéressés par le télétravail, ou convenir d’une entente avec des modalités supplémentaires. « C’est important, parce qu’il y a beaucoup de choses auxquelles on doit penser. Par exemple, à quel endroit le télétravail est-il autorisé ? À la maison, au chalet, en vacances, à l’extérieur du pays ? », expose Me Veilleux. La fourniture et la responsabilité des équipements, ainsi que la santé et la sécurité du lieu de télétravail, sont aussi à considérer.

 

Source: La Presse, par Ariane Krol