ÉVALUATION ET GESTION DE LA PERFORMANCE : VERS UN RÔLE D’ACCOMPAGNATEUR

Efficaces, les pratiques d’évaluation de la performance? Gestionnaires et employés les jugent souvent mal adaptées ou carrément inadéquates. Olivier Doucet, professeur titulaire au Département de gestion des ressources humaines de HEC Montréal, et Marie-Ève Lapalme, professeure titulaire au Département d’organisation et ressources humaines de l’ESG UQAM1, font le point sur la question.

Quelles sont les pratiques d’évaluation et de gestion de la performance généralement utilisées en entreprise?
Olivier Doucet : Le système type consiste en un cycle annuel de gestion et d’évaluation qui comporte d’une à trois rencontres entre le gestionnaire et son employé. À cette occasion, le gestionnaire effectue l’évaluation des comportements, il fixe des objectifs de performance et il peut aussi proposer des outils pour aider l’employé à atteindre ses cibles. Cette démarche est souvent associée à une forme de rémunération à la performance, par exemple une augmentation de salaire ou des bonis. Cela dit, les recherches démontrent que ces pratiques traditionnelles comportent plusieurs limites. Il est donc temps de s’ouvrir à un autre modèle pour mettre en place des méthodes plus efficaces.

Quelles sont les critiques à leur sujet?
Marie-Ève Lapalme : ces pratiques suscitent beaucoup d’insatisfaction, tant chez les employés que chez les gestionnaires qui font les évaluations. Bien que domine toujours le cycle annuel de gestion de la performance – appliqué par 62 % des entreprises, selon un sondage réalisé par l’ordre des conseillers en ressources humaines agréés en 2015 –, on demeure trop éloigné de la vie concrète au travail lorsque vient le temps d’offrir de la rétroaction. On rate ainsi la cible, puisque l’employé estime alors que cet exercice est déconnecté de la réalité, ce qui génère du scepticisme.

De plus, on sait qu’une des conditions essentielles pour qu’une rétroaction soit efficace consiste à faire en sorte qu’elle soit spécifique et aussi immédiate que possible, ce qui n’est évidemment pas le cas si on se base sur des cycles annuels.

O.D. : Force est de constater que ces pratiques ont été conçues pour mesurer et pour suivre la performance, pas nécessairement pour motiver les employés ni pour les aider à s’améliorer.

De nouvelles tendances en matière d’évaluation et de gestion de la performance sont-elles en train d’émerger?
M.-È. L. : on commence en effet à voir apparaître d’autres modèles, par exemple les conversations en continu sur la performance. Dans ce cadre, le gestionnaire échange avec l’employé et lui donne une rétroaction régulièrement, dans un souci d’amélioration et de développement.

En misant sur ce type de pratique, l’employé sait au fur et à mesure quels sont les éléments qu’il doit améliorer. Cela n’a donc rien à voir avec l’évaluation annuelle, un moment critique et stressant où on a souvent l’impression de monter à l’échafaud! en se fondant sur cette approche, l’évaluation devient la suite logique des conversations qu’on a eues pendant les douze mois précédents.

La mise en œuvre sur le terrain dépend de l’entreprise et de ses besoins. Il n’y a pas de modèle unique. On peut par exemple rencontrer l’employé chaque semaine ou chaque mois pour faire le point de façon plus ou moins formelle. La discussion dure cinq minutes, une demi-heure ou même une heure : tout dépend des choix organisationnels et des contextes.

Cette méthode porte fruit et les enquêtes2 ont démontré que dans les entreprises où on donne de la rétroaction sur une base hebdomadaire, les employés ont cinq fois plus l’impression que la rétroaction a une utilité. Ils sont aussi trois fois plus engagés et motivés à se surpasser.

Le modèle peut donc varier selon les organisations?
O.D. : en effet. Ce qui est intéressant, c’est qu’il est possible d’adopter une approche personnalisée. Dans les entreprises où les choses évoluent rapidement, notamment dans le domaine des technologies, où un objectif peut devenir caduc en une semaine, on pourrait par exemple miser sur des discussions hebdomadaires. Dans d’autres secteurs d’activité relativement stables, une telle fréquence ne serait pas nécessaire. De la même manière, dans des secteurs comme le réseau de la santé, où on peut observer des ratios d’un gestionnaire pour 50 ou même 80 employés, il est impossible de tenir des rencontres individuelles hebdomadaires. On doit donc miser sur une approche différente, plus adaptée à la réalité.

Ces conversations à propos de la performance requièrent-elles des compétences spécifiques de la part des gestionnaires?
O.D. : Les gestionnaires doivent bien comprendre qu’il ne s’agit pas de réunions de travail mais de conversations sur la performance, c’est-à-dire de rencontres individuelles où on discute des difficultés de l’employé afin de l’aider à atteindre ses objectifs et à se développer dans sa vie professionnelle. En ce sens, c’est un changement important dans la nature du travail des gestionnaires, et il faudra les outiller en amont, notamment en leur offrant des formations en coaching. Désormais, ils joueront un rôle d’accompagnateur plutôt que de juge ou d’évaluateur.

Les modèles de développement du leadership varient selon les organisations, mais pour être un bon coach, il faut généralement posséder de solides aptitudes de communication et avoir la capacité de transmettre de façon concrète la vision et la mission de l’entreprise.

M.-È. L. : il faut aller au-delà des rencontres formelles et avoir des discussions à bâtons rompus durant lesquelles on accompagne l’employé. Le gestionnaire doit donc savoir faire preuve d’écoute, être en mesure de comprendre la réalité de l’employé et de nouer un lien de confiance avec lui. Il sera ainsi plus facile de reconnaître les contributions de l’employé ou encore de soulever des aspects plus délicats liés à sa performance.

Notes

1 Olivier Doucet et Marie-Ève Lapalme sont aussi coauteurs, avec Denis Morin et Chloé Fortin- Bergeron, de l’ouvrage Gérer la performance des employés au travail, publié en 2020.

2 Voir notamment Sutton, R., et Wigert, B., « More harm than good: The truth about performance reviews » (article en ligne), Gallup, 6 mai 2019.

Source: Revue Gestion par Emmanuelle Grill