LE TÉLÉTRAVAIL EN PÉRIODE DE PANDÉMIE – UNE OBLIGATION?

Assistance RH et Travail à Domicile Corinne Kutz
Tous les milieux ont été chamboulés par la pandémie actuelle. Le monde du travail n’est pas en reste. Une des facettes qui a été propulsée à l’avant-scène est assurément le télétravail. Très peu populaire et appliqué principalement par voie d’exception il y a tout juste quelques mois, le télétravail est devenu la norme pour une très grande majorité de travailleurs cols blancs et professionnels.

Le télétravail permet à un travailleur d’effectuer à distance ses tâches et ses activités professionnelles, le plus souvent de son domicile, et ce, à l’aide des outils technologiques en place.

Il était accessible auparavant à une minorité d’individus et souvent perçu comme une condition de travail très avantageuse. Son impopularité auprès des entreprises ou des organisations patronales tirait sa source du manque de contrôle sur la prestation de travail. Les employeurs préféraient maintenir une gestion plus directe du travail à effectuer. La pandémie aura eu l’effet d’un électrochoc et a forcé ces entreprises et ces organisations à se réinventer à une vitesse démesurée.

Cet électrochoc a comme origine les décrets gouvernementaux, particulièrement celui daté du 25 juin 2020[1]. Deux passages sont particulièrement éloquents :

« ATTENDU QUE différentes mesures sanitaires sont recommandées par les autorités de santé publique et qu’il est de la responsabilité de toute personne, entreprise ou organisme de prendre les moyens nécessaires afin qu’elles soient respectées; »

« QUE, lorsqu’une prestation de travail peut être rendue à distance, le télétravail à partir d’une résidence principale ou de ce qui en tient lieu soit privilégié; » [Nos soulignements]

À la lumière de ces passages, le télétravail en période de pandémie est-il devenu un droit absolu pour le travailleur et une obligation pour l’employeur?

Aucune décision juridique d’une quelconque instance ne nous éclaire à ce jour. Bien que le Syndicat des cols blancs de la Ville de Québec ait déposé un grief pour s’en réclamer, la tentative d’obtenir une ordonnance de sauvegarde auprès de l’arbitre Jean-François La Forge a échoué le 26 octobre 2020.

Du point de vue de l’arbitre, les critères pour autoriser le télétravail de certains cols blancs, dans l’attente d’une décision sur le fond, étaient absents. Nous sommes donc dans l’expectative de cette décision sur le mérite.

Amusons-nous en tentant de nous substituer à cet arbitre afin d’anticiper sa réponse.

Le décret gouvernemental oblige-t-il les employeurs à offrir le télétravail à tous ses travailleurs? Nous ne le croyons pas.

Rappelons que toute entreprise ou organisation doit s’assurer de respecter les règles sanitaires du moment. Cette obligation implique que si des travailleurs sont à leur lieu de travail, l’employeur a la responsabilité de veiller à la distanciation, au port du masque, aux règles d’hygiène, à l’adaptation des postes de travail et à la mise en place de la signalisation adéquate.

Ainsi, la continuité des tâches sur les lieux de travail est toujours possible. C’est le cas pour les entreprises de services essentiels, mais aussi pour celles dont le travail ne peut être rendu à distance. À cet égard, le second passage du décret 689-2020 cité précédemment est clair. Nous n’avons qu’à penser aux travailleurs cols bleus ou aux commerces de détail dont la nécessité d’être sur place va de soi, de même que certains postes de cols blancs ou de professionnels pour qui le télétravail n’est pas adapté, tels que les préposés au service à la clientèle, les archivistes ou les responsables des comptes. Une réflexion est pertinente également avant de permettre le travail à distance pour les postes transigeant avec des renseignements à caractère confidentiel pouvant mettre en cause la réputation de l’entreprise.

Reste maintenant les postes se qualifiant au télétravail. D’emblée, certains diront qu’un travailleur y a droit. Or, le décret n’utilise pas la forme impérative. Le second passage cité précédemment suggère que le travail à distance « soit privilégié ». Une telle forme, selon nous, n’oblige pas un employeur à le concéder, et un travailleur ne peut s’en réclamer en invoquant l’ordre public. Il s’agit plutôt d’une discrétion appartenant à l’employeur, laquelle devra être appliquée avec jugement dans l’exercice de ses droits de gestion.

Le gouvernement lance ainsi un appel au bon sens des entreprises et des organisations afin qu’elles puissent aider la communauté à traverser la pire crise sanitaire depuis des décennies. Il est ainsi demandé de faire preuve d’ouverture et de compréhension dans les limites de chaque employeur. Ce dernier sera appelé à justifier ses choix, et toute décision juste et étoffée permettra à l’entreprise ou à l’organisation de refuser le télétravail. L’inverse risque d’arriver, soit qu’une décision arbitraire ou déraisonnable soit cassée.

Nous croyons que cette position est d’autant plus renforcée par le nouvel arrêté ministériel[2] adopté pour la période des fêtes 2020-2021. Le gouvernement s’y exprime clairement sur l’obligation du télétravail, à l’exception des travailleurs jugés nécessaires pour la poursuite des activités essentielles de l’entreprise ou de l’organisation. Si le législateur avait voulu être aussi limpide, il l’aurait mentionné initialement dans le décret 689-2020.

Nous reproduisons le passage pertinent de l’arrêté ministériel :

« QUE tous les employés des entreprises, des organismes ou de l’administration publique qui effectuent des tâches administratives ou du travail de bureau continuent ces tâches en télétravail, dans leur résidence privée ou ce qui en tient lieu, à l’exception des employés dont la présence est essentielle à la poursuite des activités de l’entreprise, de l’organisme ou de l’administration publique. » [Nos soulignements]

Le travail à distance n’est pas, selon nous, un droit absolu en période de pandémie. Il demeure au centre de la discrétion de l’employeur. Une décision refusant le travail à distance ne devrait toutefois pas être maintenue si elle n’est pas appuyée de façon valable.

Avons-nous vu juste? C’est ce que nous dira la décision arbitrale à venir.

Le générique masculin est utilisé dans ce texte uniquement dans le but d’en alléger la forme et d’en faciliter la lecture.

Source : VigieRT, février 2021.

1 Décret 689-2020 du 25 juin 2020
2 Arrêté ministériel 2020-105 du 17 décembre 2020