POURQUOI IL EST SI IMPORTANT DE DÉCROCHER DU TRAVAIL

Si les termes «vacances», «repos», «congés», «décrocher du travail» n’ont qu’une vague signification pour vous, vous êtes peut-être en train de brûler la chandelle par les deux bouts. Voici pourquoi il est essentiel de prendre un peu de recul, et surtout, de refaire le plein d’énergie.

Alors que le travail occupe une bonne partie de nos vies, il semble plus important que jamais de décrocher pour mieux recharger ses batteries. Or, les choses ne sont pas si simples. «Autrefois, lorsqu’une bonne partie de la population exerçait un métier très exigeant sur le plan physique, il allait de soi que le repos était nécessaire. Mais aujourd’hui, les travailleurs sont fatigués intellectuellement et émotionnellement, et cette charge mentale est plus difficile à mesurer», remarque le consultant et conférencier Mario Côté, CRHA. Résultat : on ne prend pas toujours conscience que le cerveau a besoin de repos et on risque la surchauffe.

Il y a aussi un aspect culturel à la question. «En France par exemple, on accorde cinq semaines de congés payés par an, aux États-Unis, deux, et en Corée du Sud, on vient tout juste de réduire la semaine de travail de 68 heures à 52 heures! Cela illustre de façon éloquente comment le besoin de prendre du repos est perçu d’une culture à l’autre», note Mario Côté. À cela s’ajoute la culture organisationnelle. Ainsi, dans certaines entreprises, il est mal vu de commencer à 9 h et de finir à 17 h et les congés sont réduits à leur portion congrue. Dans d’autres entreprises, au contraire, on incite les employés à décrocher et à prendre du repos.

Néanmoins, quel que soit le pays, le type de profession exercé ou l’entreprise dans laquelle on œuvre, s’accorder un temps d’arrêt est indispensable si l’on veut continuer à être efficace, productif, mais aussi conserver une bonne santé physique et mentale.

Attention danger
Travailler sans cesse et reporter constamment ses vacances aux calendes grecques peut avoir, à terme, des conséquences négatives. «Lorsqu’on est fatigué, la performance n’est pas au rendez-vous. Le bien-être et la santé au travail en pâtissent également», indique Manon Perreault, CRHA, consultante et conseillère ressources humaines gouvernance et éthique. Elle ajoute qu’inversement, plusieurs études ont démontré qu’une organisation valorisant le repos de ses troupes fait en sorte d’augmenter l’engagement et la mobilisation de ses employés.

Outre la baisse de productivité, l’épuisement professionnel guette aussi les travailleurs surmenés. «Il y a cependant deux facteurs dont on doit tenir compte et qui peuvent changer la donne : la robustesse et la vulnérabilité de l’individu. Certains entrepreneurs n’ont pas pris de vacances depuis 10 ans par exemple, et ils ne sont pas en burnout», nuance Mario Côté.

Émilie Genin, professeure agrégée à l’École de relations industrielles de l’Université de Montréal, précise pour sa part que la réaction au stress et les problèmes de santé mentale au travail sont généralement induits par un déséquilibre entre les demandes émotionnelles émanant du travail et les ressources dont on dispose pour y faire face. «Celles-ci sont propres à chacun. Elles englobent le soutien offert par l’entreprise à ses employés, mais aussi le soutien sur un plan personnel, par exemple le réseau amical, familial, ce qui favorise la résilience», résume-t-elle. Cela dit, elle prévient que même si une situation identique peut être perçue de façon variable par les individus, il n’en reste pas moins que, tôt ou tard, tout le monde a besoin de prendre une pause pour reconstituer ses réserves d’énergie.

Un avis que partage Marie-Ève Landry, psychologue organisationnelle, consultante principale, développement des leaders et des équipes au sein de la firme-conseil Humance. «L’être humain est constitué de différentes facettes : le physique, le mental, les émotions, le social. On doit prendre conscience que l’on constitue un tout et qu’il est nécessaire de nourrir et de reposer ces différentes sphères. La difficulté est que le travail occupe énormément de place dans nos vies et que l’on tend parfois à négliger ses autres dimensions», constate-t-elle. Elle insiste aussi sur le fait que les vacances une fois par an, bien qu’elles permettent le repos physique et cognitif, ne suffisent pas. Il faut aussi s’accorder des moments de pause quotidiennement, même s’il ne s’agit que de quelques minutes pour aller marcher ou prendre le temps de dîner calmement sans lire ses courriels.

Les effets pervers du télétravail
L’implantation massive du télétravail depuis le printemps 2020 n’a fait qu’empirer les choses, puisqu’il est venu brouiller considérablement les frontières entre sphères personnelle et professionnelle. Émilie Genin, qui a mené des recherches à propos de l’empiétement du travail sur la vie personnelle, rappelle que le télétravail était auparavant considéré comme un outil offrant davantage de flexibilité, principalement utilisé par les personnes qui occupaient des postes stratégiques. «Les résultats de mes recherches démontraient déjà que les employés y avaient recours d’abord et avant tout pour terminer à la maison les tâches qu’ils n’avaient pas eu le temps d’accomplir au bureau. C’était déjà un signe préoccupant de l’intensification et de la surcharge de travail», explique-t-elle.

Puisque l’essentiel des ressources humaines des entreprises travaille désormais de la maison, tous – de l’adjointe administrative au gestionnaire – se retrouvent confrontés à cette réalité. «La pandémie a banalisé le fait de travailler à n’importe quelle heure. Nous n’avons pas eu le temps d’avoir une réflexion collective sur le télétravail, et l’urgence de la situation a justifié certains comportements que nous n’aurions pas acceptés avant», déplore-t-elle.

Or, lorsque l’usure et la fatigue s’installent, le prix à payer risque d’être très élevé, remarque Marie-Ève Landry. «Cela se développe à notre insu. Certaines personnes peuvent soudainement fondre en larmes sans raison apparente ou se voir dans l’incapacité de commencer leur journée de travail. Il faut être à l’écoute de nous-mêmes et de nos signaux d’alarme», prévient-elle.

Pour éviter ce type de situation, nous vous proposons une série d’articles dans lesquels vous trouverez des conseils pour mieux décrocher, des idées pour favoriser la déconnexion de ses équipes, tout en faisant en sorte que les vacances des uns ne deviennent pas le calvaire des autres. Enfin, vous découvrirez pourquoi le repos est essentiel à la créativité et comment les créatifs s’y prennent pour mieux se ressourcer.

Source: Revue Gestion par Emmanuelle Grill